Il s’agit de situations dans lesquelles le comportement de voisins crée un préjudice au delà des inconvénients normaux du voisinage.
Les troubles anormaux du voisinage appartiennent à un régime juridique créé par les tribunaux, parce que l’application de la Loi et le Règlement ne permet pas de résoudre des conflits de voisinage insupportables.
Ce régime juridique simplifie l’action de la victime.
La responsabilité des auteurs de ces troubles peut être recherchée sans avoir à démontrer la présence d’une faute délictuelle (article 1241 (anc. 1382 et 1383) du CC), ou sans avoir à mettre en œuvre la présomption d’une responsabilité (article 1242 du CC).
(- Cass. I, civ. 23 mars 1982, D. 1983, IR 18 – sur la faute
– Civ. III, 16 mars 2022, N° 18-23954 – sur la qualité de propriétaire de l’auteur de la nuisance
– Cass. I, civ. 27 mai 1975, D. 1976.318 sur les maladresses évitables d’un industriel qui aurait pu en appliquant les règlements, réduire les nuisances normales du voisinage)
Il suffit au voisin victime de démontrer la présence d’une nuisance, son caractère anormal, et d’identifier l’auteur du trouble.
Ainsi par exemple, lorsqu’une victime subie la présence d’une station-service et oublie d’indiquer le fondement de son action indemnitaire, le juge peut condamner l’auteur de la nuisance sur le fondement implicite du trouble anormal du voisinage.
(Civ. II, 10 janvier 2008, N° 07 – 10278)
L’anormalité du trouble est admise pour les riverains d’une porcherie industrielle en raison de ses odeurs (Cass. II, 11 oct. 1989, N° 88-15885), d’un camping en raison du bruit (Cass. II, 27 mai 1999), un atelier de réparation de motos (Cass.II, 19.10.1994).
L’action peut également être engagée en absence de trouble, si le risque est réel et certain. Par exemple, le fait d’entreposer de la paille au pied d’une habitation au risque d’incendie ( Civ. II, 24 fév. 2005, N° 04-10362, Pub. Bull.), ou la menace d’effondrement d’une maison d’habitation en raison du refus d’effectuer des travaux de soutènement (Cass. III, 24 avr. 2013, N° 10-28344), l’exploitation d’un golf (Civ. II, 10 juin 2004, N° 03-10 434, Pub. Bull., entre copropriétaire en raison de l’exploitation d’un local de cours de danse (Cass. III, 11 fév. 1998, N° 95-22 112)
En revanche, lorsque la loi prévoit expressément comment lutter contre certaines nuisances, il n’est pas possible de contourner le texte par une action en réparation d’un trouble anormal du voisinage.
Par exemple, en cas de communication d’un incendie entre voisins, puisque la question est réglée par les dispositions de l’article 1242 al 2 du CC (anc. article 1384 al 2), ou de préjudices subis par des tiers de la ruine d’un immeuble (article 1242 al 2 – Cass. II, 7 févr. 2019, N° 18-10727, CA Amiens 7. juil. 1959, JCP, 1950, II, 5244), ou de la responsabilité contractuelle d’un entrepreneur à l’égard du maître de l’ouvrage (Cass. III, 23 nov. 2001, N° 00-13970, Pub. Bull.), les nuisances subies par un locataire du fait des travaux d’un bailleur relèvent du bail (Cass. 10 nov. 1998, N° 96-15 483)
L’action en démolition d’une construction irrégulière dont le permis de construire a été annulé par le juge administratif sur le fondement des articles L 48-13 et R 111-21 du code l’urbanisme peut se fonder sur la faute (anc. art 1382 du CC, Cass. 3e civ. 28 mars 2001, Bull. civ. III, no 40), mais pas sur une action fondée sur le trouble anormal du voisinage (Cass. III, 20 juil. 1994, Bull Civ III, N° 1958).
L’action en enlèvement d’éoliennes en raison de leurs nuisances visuelles, esthétiques et sonores relève du juge administratif et non du juge judiciaire, car leurs installations relèvent de prérogatives de polices administratives spéciales.
(Cass. I, 25 janv. 2017, N° 15-25526)
Il est de même d’une station radioélectrique (antennes-relais),
(Cass. III, 19 déc. 2012, N° 11-23566, CE, ass., 26 oct. 2011, Cne de Saint-Denis, au Lebon)
Ou pour ordonner la fermeture d’une installation classée.
(Cass. 1re civ. 23 janv. 1996, D. 1996.266)
Cependant, le juge judiciaire demeure compétent pour faire cesser les troubles anormaux du voisinage liés à une implantation irrégulière ou au fonctionnement non conforme aux prescriptions administratives.
(Tribunal des Conflit, 14 mai 2012, Mme Girardeau / Soc Orange N° 3848,
Civ. 1re, 13 juill. 2004, Bull. civ. I, no 209 – maternité)
L’autonomie de ce régime n’est pas nécessairement exclusive d’une autre voie de droit pour obtenir réparation.
Par exemple, la victime peut avoir intérêt à démontrer l’existence d’une faute pour établir le caractère anormal de la nuisance. (Cass. I, civ. 27 mai 1975, D. 1976.318)
L’action fondée sur le trouble du voisinage peut être combattue … :
Par la prescription qui est de 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. (article 2270-1 du CC, Civ. II, 13 sept. 2018, N° 17-22 474 – nuisances sonores action extracontractuelle et non action immobilière réelle)
La prescription peut-être interrompue par la reconnaissance non équivoque du trouble (Civ. 2e, 7 janv. 2021, N° 19-23262).
En raison de la faute de la victime, par exemple lorsqu’elle n’isole pas l’habitation construite à proximité d’un aéroport générant du bruit. (Cass. II, civ. 8 mai 1968, Bull. civ. II, no 122)
… ou de la force majeure (Cass. 3e civ., 10 déc. 2014, no 12-26361 – la tempête ne peut une cause exonératoire de responsabilité si l’auteur du trouble avait été préalablement sommé de faire cesser le risque de chute d’arbres)
La protection du voisinage s’opère de différentes façons :
L’auteur du trouble peut être condamné à des dommages et intérêts pour réparer les préjudices subis ou pour compenser une nuisance qui ne peut être supprimée.
Le tribunal peut ordonner la suppression du trouble, par exemple en fermant provisoirement un circuit de Karting, (Cass. II, 9 octobre 1996, N°), ou en ordonnant des travaux d’isolation.
Les troubles anormaux du voisinage peuvent également être combattus par le maire en ce qui concerne le bruit de voisinage en vertu des articles L 2212-2 et L 2214-4 du CGCT et ainsi prescrire la fermeture d’une boulangerie entre 22 heures et 6 heures (CE, 7 juil. 1993, Cazorla).
Le préfet sur son territoire peut également prendre des mesure similaires en cas de troubles à l’ordre public (art L 2215-1 du CGCT), le pouvoir règlementaire et les fédérations sportives peuvent également prendre des mesures contre le bruit (CE 29 nov. 2019 , N° 423847 sur l’exploitation d’un circuit à grande vitesse)
Le maire peut être poursuivi pénalement si les nuisances sont émises en violation des lois et règlements destinés à la préserver la santé de l’homme contre les bruits de voisinage.
Dans tous les cas, le trouble est apprécié selon les circonstances par le juge, et il convient en conséquence de lui présenter un dossier bien préparé.
Les conseils d’un avocat sont recommandés avant d’engager une action.